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DOSSIER Lecture et Vision : un lien complexe

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Lorsqu’on est un lecteur assidu, on le fait pour plein de bonnes raisons. Au contraire, les personnes qui lisent très peu ou pas du tout ont du mal à en comprendre l’intérêt. Ce lien avec cette activité, qui pour la plupart d’entre nous, semble naturelle, est complexe. Tout simplement parce qu’elle fait appel à une perception visuelle combinée à des caractéristiques neurologiques précises. Et que maîtriser la lecture n’est pas aussi simple qu’il n’y paraît. Alors, lecture et vision sont-elles indissociables ?

 

La lecture, nouvelle grande cause nationale

 

La lecture est une activité essentielle. En cela, elle structure la culture et la conscience individuelles. Lorsqu’elle n’est pas maîtrisée, elle s’apparente à une cause d’inégalité des chances. Les enjeux sont donc clairs : la lecture, dans le sens maîtrisé du terme, doit être remise au goût du jour. Le président français, Emmanuel Macron, en a fait une nouvelle cause nationale en juin 2021.

 

En France, le taux de lecteurs reste important : près de 86 % de la population a lu au moins un livre dans les douze derniers mois. 83 % sur un format papier, 23 % au format numérique, quand 20 % alternent entre l’un et l’autre. Pourtant ce taux de lecteurs est en baisse (-6 points en 3 ans.)

 

 

Le Syndicat national autonome des orthoptistes (SNAO) a rapidement salué l’initiative du président Macron. « Rappelons que sans une santé visuelle efficiente, les capacités de lecture ne se mettront pas correctement en place, voire se détérioreront. Pour lire, il faut s’assurer avant toute chose de bien regarder et de bien voir. En effet, chez les personnes âgées, l’arrêt de la lecture est très souvent le premier signe d’une altération visuelle. Arrêt dont découle d’autres pertes sur le plan cognitif (mémoire, communication, autonomie etc.). Pour cela, à l’occasion de cette « Grande Cause Nationale », le SNAO appelle à la mise en pratique immédiate de la première recommandation du Rapport IGAS/IGESR. Lancer une campagne nationale visant à prévenir, dépister et suivre les troubles visuels des enfants, des jeunes adultes et des patients vieillissants », a déclaré la Présidente du syndicat, Mélanie Ordines.

 

la lecture est logiquement reliée à la vision, mais nous allons constater que bien voir n’est pas le seul pré-requis pour une lecture de qualité. Se pencher uniquement sur les défauts de l’acuité visuelle ne permettrait pas de faciliter l’accès à la lecture au plus grand nombre. Surtout, une lecture fluide et efficace nécessite plusieurs éléments.

 

Lecture et vision, relation évidente et complexe

 

Plusieurs éléments sont nécessaires afin d’obtenir une perception correcte pour la lecture : l’acuité visuelle binoculaire de près, l’intégrité du champ visuel, la sensibilité aux contrastes et l’oculomotricité. Ainsi, le terme de vision doit être perçu dans un sens global. Et l’association lecture et vision soumise à cette globalité. Et puis, il existe différents niveaux de lecture. Si cette dernière n’était l’affaire que d’acuité visuelle, il suffirait de bien voir pour bien lire. Une lecture de qualité, dite « harmonieuse », nécessite des capacités d’attention et de concentration qui seront liées au cerveau.

 

Une lecture harmonieuse a besoin de la réalisation de micro-saccades afin de suivre une ligne et de saccades et de vergences (capacité d’une lentille à faire dévier les rayons lumineux) pour passer à la ligne suivante. Les scientifiques estiment d’ailleurs que les troubles de dyslexie pourraient venir de troubles oculomoteurs des micro-saccades.

 

 

Les problèmes de convergence peuvent également empêcher la lecture. En effet, il n’est pas rare que s’installe une fatigue oculaire due à forte convergence. Souvent, cela force le lecteur à abandonner sa lecture. L’idéal, dans ce cas, est de passer un peu de temps à l’extérieur, certainement pas de se mettre devant un écran.

 

Pour un lecteur assidu, c’est l’analyse des syllabes, non un déchiffrage mot à mot qui permet une lecture fluide. Les micro-saccades permettent le passage d’une syllabe à la suivante. La fovéation, le procédé de recherche et d’obtention d’une image, suit la micro-saccade passée pour aller à la suivante. C’est le but de l’oculomotricité.  Cette dernière se bonifie avec l’entraînement. C’est la raison pour laquelle une lecture sérieuse et régulière améliore le niveau de lecture.

 

La sensibilité aux contrastes s’avère également très importante. On a remarqué que les personnes atteintes de DMLA ou de cataracte connaissent des difficultés à lire, en particulier les textes colorés ou imprimés sur un fond dont la couleur ne tranche pas singulièrement avec ceux-ci.

 

L’acuité visuelle, pas suffisante

 

Et oui, il ne suffit pas de bien voir pour bien lire ! D’ailleurs, il ne suffit pas de voir, tout simplement. Chez des patients non-voyants, la lecture en alphabet Braille se développe rapidement. Par ailleurs, chez des patients non-voyants de naissance, il est observé que cette lecture active le cortex visuel du cerveau. Preuve, s’il en fallait que lire n’est pas simplement une question d’acuité visuelle.

 

Autre exemple : le cas des lecteurs rapides. Mais vraiment très rapides. D’ailleurs, des championnats de lecture rapide sont fréquemment organisés. Ils consistent en la lecture d’ouvrages non-parus de 250 à 500 pages le plus rapidement possible. Le champion du monde, le français Mohamed Koussa, a pour l’occasion lu un ouvrage de 400 pages en…1h25.

 

 

Il est capable de lire plus 900 mots à la minute ! Pour information, la moyenne nationale est d’environ 250 mots par minute. Pour le champion, il ne s’agit pas d’un don, mais bien d’un entraînement. « La base de la lecture rapide, c’est la mémorisation et, contrairement à ce qu’on pense, plus on lit vite, plus on retient. Lentement, il ne se passe rien dans la tête. Rapidement, on produit des neurotransmetteurs qui permettent de mémoriser. » Sa technique ? Balayer les phrases plutôt que de lire mot à mot.

 

Ce sont donc bien les propriétés du cerveau qui nous permettent d’améliorer et de fluidifier la lecture. Il faut que celui-ci puisse coordonner des mouvements oculaires d’une précision extrême. Dans cette optique, il doit être informé de la position exacte de la rétine dans l’espace.Cela est rendu possible grâce à la proprioception.

 

La proprioception permet de réaliser des saccades harmonieuses dans le but d’amener le regard là où il doit se poser. Cet endroit est surnommé le « centre de gravité du mot. » Nous disposons de six muscles oculomoteurs qui « coordonnent ces mouvements d’une extrême précision. »  L’information dite « proprioceptive » provient des muscles oculaires qui indiquent au cerveau la position précise des globes oculaires.

 

On le voit, lecture et vision ont un lien indéniable, mais il n’est pas exclusif. C’est surtout le cerveau, et son étonnante capacité d’adaptation qui va permettre la pratique de cette activité. Cette compréhension permet d’approcher de manière différente les difficultés que l’on peut connaître face à la lecture. En effet, une fois encore, nous ne sommes pas tous égaux car notre cerveau peut réagir de manière différente. Mais quoiqu’il en soit, il doit être stimulé pour en tirer la quintessence. Encourager la lecture est donc bien, aussi, une mission de santé.